Écriture et origine étymologique de l’expression Au temps pour moi
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Plan de lecture | Au temps pour moi – Conseil d’écriture no 4 |
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Généralité | Autant et au temps pour moi selon Internet |
Autant pour moi au temps pour moi, écriture | |
Autant pour moi au temps pour moi, origine
Au temps des crosses La controverse de Claude Duneton |
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La vidéo de Au temps pour moi |
Les deux orthographes « autant pour moi » et « au temps pour moi » dépendent du sens que l’on veut donner à l’expression. La correction orthographique vérifiera donc le contexte tandis que l’expertise littéraire se rappellera de l’hypothèse de Claude Duneton imaginant une origine au confluent de l’écriture et de la broderie.
Généralité
Autant et au temps pour moi selon Internet
Que cela soit avec Bing ou avec Google, on trouve un plus grand nombre d’occurrences contenant l’expression « autant pour moi » (54 %) que sa rivale « au temps pour moi ». Si l’on regarde plus précisément le nombre de pages, on s’aperçoit qu’en réalité les deux expressions sont en même proportion sur Google, et légèrement à l’avantage de « au temps pour moi » (56 % contre 40 %) sur Bing.
La poursuite de cette recherche avec les expressions de même sonorité permet de trouver également quelques pages confidentielles contenant « Ô, taon pour moi » ou « O.T.A.N. pour moi ».
Si l’on se fiait à Internet pour vérifier la bonne orthographe d’une phrase ou d’un mot pour écrire l’expression, il faudrait donc écrire « au temps pour moi ». Mais la majorité a-t-elle toujours raison ?
Expression | Bing | Définition | |
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Ô taon pour moi | 4 % | 9 % | Canadianisme : Ô l’imbécile que je suis |
O.T.A.N. pour moi | 0 % | 25 % (bogue) | Jeux de mots sans intérêt. |
Autant pour moi | 40 % | 32 % | On fera de même pour moi. |
Au temps pour moi | 56 % | 32 % | Je me suis trompé. |
La parodie du célèbre jeu Question pour un champion (voir plus bas) nous montre que la majorité peut parfois se tromper.
Érudit
Autant pour moi ou au temps pour moi
Les deux écritures « autant pour moi » et « au temps pour moi » coexistent, mais ne signifient pas la même chose. Elles ne sont pas interchangeables. Ce sont en réalité deux homonymes homophones, mais pas des homographes.
- Terme
- Définition
- Homographe
- Linguistique : Mot dont la graphie est identique à celle d’un autre mot.
- Homonyme
- Linguistique : Mot qui a une prononciation ou une graphie identique à celle d’un autre, mais un signifié différent.
- Homophone
- Linguistique : Unités ou groupements graphiques (signe, syllabe, mot, phrase) de prononciation identique.
Autant pour moi
Autant est un adverbe de comparaison. On utilise donc cette graphie lorsqu’il existe une comparaison. Il compare quelque chose ou quelqu’un par rapport au pronom personnel « moi ».
— J’ai déjà corrigé 50 pages du bouquin.
— Autant pour moi [j’en ai fait autant].
— Je suis un as !
— Autant pour moi [je le suis autant].
— En attendant, je prendrais bien un capucino.
— Autant pour moi [la même chose].
Au temps pour moi
« Au temps » indique un repositionnement temporel qui correspond généralement à un moment précis d’une chorégraphie, celui avant lequel on s’est trompé. On utilise donc cette graphie lorsque l’on reconnait avoir commis une erreur.
— Depuis quand le « Présentez arme ! » existe-t-il ?
— Cela remonte aux temps anciens des premières armes à poudre.
— Au temps des Chinois ? Quand ils ont imaginé les feux d’artifice ?
— Au temps pour moi [je me suis trompé ; on rembobine tout, et je recommence] ! L’expression date en fait du temps des crosses.
Expert
Autant pour moi au temps pour moi, origine
Les deux orthographes semblent coexister depuis longtemps et le bon choix dépend en réalité surtout de la façon dont est interprétée l’expression.
Autant pour moi
L’origine de l’expression viendrait du proverbe « autant pour le brodeur » utilisé au début de la Renaissance pour signifier que l’on demandait d’avoir autant que ce que l’on donnerait au brodeur, c’est-à-dire rien.
Le mot brodeur avait alors deux significations :
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Le brodeur de tissus
Le brodeur désignait initialement le fabricant de broderies, c’est-à-dire l’artisan spécialisé en décoration de tissus. Son métier consistait à rehausser les tissus en les cousant avec des fils d’or, d’argent et de soie.
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Le brodeur d’histoires
Certains écrivains publics spécialisés étaient quant à eux chargés de broder une histoire à la gloire de leur client. Comme pour les brodeurs du tissu, leur travail consistait à ajouter des détails, et des circonstances souvent imaginaires à une histoire ou à un récit pour l’embellir. On les appela rapidement des brodeurs et certains devinrent fort riches tel le célèbre Nicolas Flamel (1330 – 1418) qui avait réussi à transformer en or le plomb [d’imprimerie].
Ici, les avis divergent :
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Certains estiment que les brodeurs de tissu étaient très chers, voire trop chers, et que l’un d’entre eux fut tourné en dérision par Agnès Sorel (1420 – 1450), la maitresse de Charles VII (1403 – 1461). À partir de ce moment-là, lui et ses confrères ne reçurent dès lors presque plus rien pour leur travail de précision.
On retrouve ainsi ce proverbe en 1548 dans le Quart livre de François Rabelais (1483 – 1553) à la page 149 ligne 41. - D’autres pensent que l’expression se rapporte plutôt aux brodeurs d’histoires et que la répartie d’Agnès Sorel rapportée par différents écrivains publics ne serait justement qu’une pure affabulation destinée à redorer la propre image des brodeurs d’histoire, car leurs ficelles étaient souvent si grosses que l’expression « autant pour le brodeur » signifiait en réalité « il y a vraiment autant d’invraisemblance que dans une histoire racontée par un brodeur ».
Au temps pour moi
On retrouve l’idée du repérage du temps dans la danse, ou la musique — où l’on indique le tempo suivi d’une annotation en italien : Tempo largo, moderato, allegro, presto, rubato —, ou encore au théâtre ou en littérature où le tempo désigne l’allure particulière qu’un auteur donne au déroulement de son œuvre et qui a pour effet le développement (et le dénouement) plus ou moins rapide de l’action.
- La mesure du tempo En deux temps, trois mouvements se rapporte ainsi au solfège. La mesure à deux temps est un rythme binaire consistant en l’alternance la plus simple de temps forts et de temps faibles. Trois mouvements d’une telle mesure constituent un ensemble extrêmement simple.
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L’art de la chorégraphie militaire
Les arts de combat et la guerre en général ont souvent été enseignés comme des chorégraphies suivant différents temps (les mouvements) qu’il fallait apprendre parfaitement pour bien les maitriser.
Chaque mouvement de la chorégraphie militaire est ainsi décomposé en différents temps, et lors des répétitions, le soldat doit recommencer un à un chaque mouvement de la chorégraphie jusqu’à ce qu’ils soient parfaitement assimilés.
La charge en quatre temps est par exemple une chorégraphie militaire rapide consistant à charger l’arme à poudre. Elle s’oppose à la charge en douze temps.
Dans les écoles d’officiers de l’armée française, on trouve de la même façon le spectaculaire « Portez… Sabre ! » consistant en plusieurs séquences successives depuis la sortie de l’épée du fourreau jusqu’au salut final. On décrit ainsi le temps du Présentez arme, du Salut, etc.
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Le temps des crosses
Chez le troufion, au « Présentez armes » succédait le temps des crosses qui consistait à reposer l’arme au sol côté crosse… en évitant de la démolir : ce temps particulièrement compliqué devait donc se faire sans bruit, et l’on recommençait au temps des crosses autant de fois que nécessaire jusqu’à ce que la percussion de l’arme sur le sol se fasse enfin en silence. Certains soldats n’y arrivaient pas, et, par dérision, le formateur remplaçait souvent le « Au temps des crosses » (ou tout autre mouvement) par « Autant pour Untel ».
L’expression dériva par autodérision, et elle devint finalement « Au temps pour moi ! » qui signifie que l’on s’est trompé et qu’on désire recommencer au temps situé juste avant l’erreur comme si de rien n’était.
L’expression « au temps pour moi » s’est ainsi développée dans les garnisons et s’est fortement popularisée avec la conscription et la période des classes militaires.
Au temps des crosses
Une crosse est l’extrémité recourbée d’un bâton : crosse d’évêque, crosse de hockey, crosse de golf, etc.
Dans le domaine des armes à feu, la crosse est la partie postérieure recourbée du pistolet, qui sert à le tenir à la main. Par extension, c’est devenu la partie postérieure d’une autre arme à feu portative, située à l’arrière du canon, et qui sert soit à l’appuyer à l’épaule (fusil, fusil-mitrailleur) soit à le tenir entre le bras et le côté (pistolet-mitrailleur). Enfin, c’est devenu la partie du canon contre laquelle s’appuie l’épaule du pointeur lorsqu’il donne la direction à la pièce.
La controverse de Claude Duneton
Claude Duneton (1935 – 2012) était un brillant chroniqueur du Figaro littéraire. Historien des langues, il remarqua en 2003 que l’affabulation qu’écrivait le brodeur d’histoires pour son client nécessitait beaucoup de talents, ce qui n’était pas à la portée de tout le monde, et que dans la majorité des cas elle risquait donc fort d’être très grossière. De même, le brodeur de tissus risquait fort de son côté de trainer une réputation de bonimenteur.
Il émit donc l’hypothèse que le mot brodeur avait fort bien pu devenir péjoratif, et qu’il put par conséquent être compris essentiellement avec le sens de bourdeur.
Autant pour le bourdeur ou autant pour le brodeur ?
L’idée repose sur la découverte de l’expression « autant pour le brodeur » dans le livre Curiosités françoises du grammairien Antoine Oudin (1595 – 1653) à la page 51 ligne 14. Il estima que le mot brodeur pourrait très bien avoir dérivé du mot bourdeur.
Bourdeur vient de l’occitan « borda », le mensonge, qui a donné « bordas » pour désigner une ferme construire à base de planches grossières, et de là le nom de famille Bordas à l’origine de la célèbre maison d’édition.
Bourdeur, brodeur… Selon les partisans de la théorie du autant pour moi, l’expression « autant pour le brodeur » signifiait donc : « rien pour celui qui se goure ». Et, dans cette hypothèse, si c’est moi qui me trompe, je peux alors dire « autant pour moi ». Inversement, quand on dit « autant pour moi », cela signifie que l’on est responsable d’une erreur.
Ce qu’il fallait démontrer. Oui ! mais, remarquent ses contradicteurs, il n’existe en réalité aucune justification dans cette hypothèse qui expliquerait pourquoi on emploierait un adverbe comparatif sans qu’il n’y ait la moindre comparaison. Qu’à cela ne tienne !
L’origine anglaise so much for d’autant pour
Ancien enseignant d’anglais, Claude Duneton estima alors que l’origine de l’expression viendrait en fait de l’anglais « so much for » qui serait traduit par « autant pour ». Certes, mais un Anglais dira que ce n’est en réalité pas la meilleure traduction et que « too much for » doit plutôt être compris comme une simplification du « thank you so much for ».
She twisted her ankle while dancing rock. So much for dancing!
Elle s’est tordu la cheville en dansant le rock. Merci la danse !
Thank you so much for your hospitality.
Merci beaucoup pour ce séjour.
L’armée et le temps
Claude Duneton précise enfin qu’il n’y a aucune idée de temps dans l’expression militaire. Il démontre seulement qu’il ne connaissait pas bien les classes militaires et ses fastidieuses répétitions où il n’y avait guère moyen de se défiler.
La réponse de l’Académie française
Il est impossible de savoir précisément quand et comment est apparue l’expression familière au temps pour moi, issue du langage militaire, dans laquelle au temps ! se dit pour commander la reprise d’un mouvement depuis le début (au temps pour les crosses, etc.). De ce sens de C’est à reprendre, on a pu glisser à l’emploi figuré. On dit Au temps pour moi pour admettre son erreur — et concéder que l’on va reprendre ou reconsidérer les choses depuis leur début.
L’origine de cette expression n’étant plus comprise, la graphie Autant pour moi est courante aujourd’hui, mais rien ne la justifie.
Bref ! Autant en emporte le vent…