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Joseph d’en Nazira : Chapitre I : Émilie Grangier

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Contexte de la démonstration

Le point de départ fut le pari insensé de déclarer pouvoir tout écrire sur tout.

Le sujet proposé fut alors : que vous évoque « Cela vous changera des 12345abc(de) et autres peintures, mais vous n’y trouverez pas ce que vous cherchez » ?

L’écriture du chapitre d’introduction

Analyse littéraire du document

Ce texte utilise un procédé littéraire qui sera particulièrement adapté au lectorat ciblé pour :

  1. Affiner la mise en place des personnages, de l’histoire, et de l’univers du livre.
  2. Décrire la très grande pauvreté avec tact sans sombrer dans la sensiblerie.
  3. Parler de l’autosensualité en rendant sa description à la fois agréable et accessible à tous.
  4. Rendre le livre suffisamment captivant pour donner envie de poursuivre sa lecture.

Argument finalement retenu

Ce chapitre commence véritablement le cycle Joseph d’en Nazira.

Il décrit les tourments d’une personne qui a tout perdu, et en particulier son travail qui représentait toute sa vie, toute son existence.

Émilie Grangier est un extrait de roman fantastique écrit par Pierre-Gilles Launay, Le Corrigeur, le 15 octobre 2007.

Le Corrigeur a été dans une autre vie (de 1992 à 1998) le pilier de 3 grands magazines professionnels. Il était lu chaque mois par environ 15 000 lecteurs.

Voici une démonstration de ses compétences d’écriture.

Cycle Joseph d’En Nazira

Émilie Grangier

« Cela vous changera des 12345abc(de) et autres peintures, mais vous n’y trouverez pas ce que vous cherchez. »

N’importe quoi ! Ce truc commence vraiment à me les brouter !

Émilie fut reprise d’un violent éternuement et n’y prêta pas plus attention qu’avant. Elle relisait la phrase de mémoire, et n’y comprenait toujours rien. Mais était-ce le problème ? Je gèle, et ça, c’est du concret ; c’est ça le vrai sujet du moment ! Pourquoi ressassait-elle alors cette ritournelle ?

Elle ne possédait plus un rond, juste de la menue monnaie. Elle avait pris une chambre d’hôtel, car elle ne voulait pas crever de froid dans la nuit glaciale de cette fin janvier. Cinquante-quatre ans pour en arriver là ! Elle mendiait le jour et avec ça elle survivait le reste du temps avec des nourritures bon marché et des piaules minables. Hum ! « Le reste du temps », disait-elle ! C’est ça, oui !

On la trouvait belle jadis, quand elle avait un emploi. De ces moments-là, elle n’avait gardé que son gout immodéré pour les galeries artistiques… Autrefois ? Elle était conservatrice de musée… C’était bien loin maintenant.

— Oui ? Pardon Mademoiselle, je n’ai pas compris ce que vous me demandiez.

— Dites, la vieille, c’est pour aujourd’hui ou c’est pour demain ? lui répondit la réceptionniste.

— Voilà, Mademoiselle.

Le temps semblait se dilater. Émilie sortait péniblement tout l’argent qu’elle possédait.

— Je suis désolée, Madame : nous ne prenons pas la petite monnaie.

— Mais comment vais-je faire alors ?

Émilie se retenait pour ne pas pleurer sous l’humiliation.

— Ça, la vieille, c’est ton problème. Pas de ça chez nous.

Émilie ne supportait décidément plus cette réalité. Elle songea à nouveau à la feuille insérée dans cette minable bible d’hôtel : c’est fou comme on trouve toujours des bibles, toujours trafiquées (et pourquoi sont-elles toujours trafiquées, d’ailleurs ?) dans ces taules miteuses. Ils pourraient quand même mieux faire le ménage !

Elle était athée. Dans cet ouvrage, seul l’avait intéressé en vérité le marque-page rajouté. Quel rapport existait-il entre ce bréviaire et ce qui ressemblait bien à une note d’étudiant discutant de… De quoi d’ailleurs ? De peinture et de numérologie ? Et donc des divines proportions ? « Cela vous changera des 12345abc(de) et autres peintures, mais vous n’y trouverez pas ce que vous cherchez. ». Qu’est-ce que cela pouvait signifier ? Était-ce encore un obscur écrit sur le fameux nombre d’or — les divines proportions — phi traitant de l’harmonie des œuvres de la Renaissance ? Mais alors, pourquoi dans une bible ?

Ce n’était pas le moment de rêver ! Il y avait urgence. Il fallait payer, et tout de suite. Mais comment faire ? Tiens ! Mais qu’est-ce qu’il espère encore celui-là ! Ce bougre, là, qui déjeune, il veut ma photo ? … Le déjeuner ! Il y a si longtemps que j’aimerais bien prendre un bol de chocolat avec des croissants et…

Le type s’adressa à elles :

— Pardon, Mesdemoiselles. Si vous permettez, je vais réaliser le change. Vous, vous débiterez ma carte bancaire tandis que Madame me donnera sa monnaie. Ça vous convient-il à toutes les deux, comme ça ?

— Non, mais vous comprenez, Monsieur, on ne veut pas ce genre de clientèle-là, ici et…

— Sara, ça suffit maintenant. Ne l’insultez pas davantage. C’est une cliente après tout. Permettez-moi Madame. Puis-je vous être utile ? … J’insiste, car en fait, plus j’y pense et plus je crois que c’est la providence qui vous a mise sur ma route.

Émilie regarda le mec, tout ébahie. Même son phrasé détonnait. Ne dit-on pas plutôt : « Plus je vois, et plus je crois… » ? Bizarre. Hé ! Mais à me zyeuter comme ça, ça ne serait pas qu’il me prend… pour une pute quand même ! Non, ce n’est pas ça. Il reste bien trop galant et trop respectueux.

Il se dégageait de lui une aura de bienveillance. Il paraissait jeune, dans les trente-cinq à quarante ans. Sa chevelure d’un joli blond châtain, et ses superbes yeux marron illuminaient un magnifique visage de bébé, lisse, ferme et impeccablement rasé. On découvrait là un bien bel homme, en somme.

— Je… commença-t-elle…

— Si vous voulez, on en discutera plus tard, car je n’ai plus vraiment le temps. Pas maintenant et certainement pas ici. Disons en fin d’après-midi, vers dix-huit heures trente ? Je viendrai vous chercher et, si vous le souhaitez, nous en causerons lors du repas. Je vous invite bien sûr… À moins que vous n’ayez prévu autre chose, évidemment ?

— Heu ! Non ! C’est pas ça, mais il faut que je me trouve un autre hôtel… bien moins cher et avant ce soir, sinon… Émilie faillit s’étrangler en avouant son infortune.

— Effectivement. Bon ! Sara, vous ajoutez la nuit de demain de Madame sur ma note. Ça vous va comme ça, Madame ?

— Émilie Grangier pour vous servir, Monsieur (mais qu’est-ce que je dis là ? pensa Émilie, « pour vous servir »). Oh oui ! Merci, Monsieur.

— Bon ! Sara, je dois partir maintenant. Vous serez gentille d’inclure un petit déjeuner pour Madame Grangier.

Émilie regarda Sara d’un air moqueur. Que cela faisait du bien d’être de nouveau un peu considérée !

Tandis que l’homme se retirait, la réceptionniste l’interpelait déjà :

— Madame, si vous le désirez, vous pouvez prendre plusieurs croissants. Me pardonnerez-vous malgré tout mon impudence ?

— Heu ! Oh oui, merci.

Émilie était stupéfaite de ce changement d’attitude. Incroyable quand même comment le fric peut agir sur le comportement des gens !

Et ce type ! Mais qu’est-ce qu’il me veut donc ce type ? Me sauter ? (Tu deviens vulgaire, ma fille.) Non c’est pas ça. Me donner un emploi ? Mais quoi ? Bizarre tout de même ! Et cette énigme qui revenait sans cesse : « Cela vous changera des 12345abc(de) et autres peintures, mais vous n’y trouverez pas ce que vous cherchez. » Qu’est-ce que cela signifie ? Et qu’en ai-je à cirer de ce galimatias ? Et… chaque chose en son temps… Et bah, un repas à l’œil, c’est toujours ça de gagné. Après, on verra bien ce qu’il proposera. Après tout, pourquoi ne s’accorderait-on pas un jour de congé pour une fois ?

Émilie savoura longuement son petit déjeuner, mâchant chaque bouchée de croissant chaud beurré et confituré trempée dans son bol de chocolat, puis elle retourna dans sa chambre.

Sa toux empirait. Comment aurait-il pu en être autrement à force de supporter le froid de l’hiver ? Elle fit sa lessive avec le savon de l’hôtel (il y avait si longtemps) puis elle regarda la télé. Elle ne mangea pas puisque pour ça il aurait fallu qu’elle sorte faire des courses et que ses vêtements eussent séché. Puis l’heure arriva subitement. C’était presque l’heure. Il était temps. Sur les coups de dix-huit heures, elle partit se doucher.

Elle s’apprêta, ou plutôt essaya de s’apprêter, au mieux avec le cache-misère qu’elle avait lavé dans la matinée, et il était déjà dix-huit heures trente. On frappait à sa porte. C’est lui ! Mon Dieu ! Est-ce que je vais faire l’affaire ? Non !

C’était seulement Sara.

— Bonjour, Madame. Monsieur vous attend à la réception.

— Merci, Mademoiselle. Savez-vous ce qu’il me veut ?

— Aucune idée, Madame. En tout cas, c’est quelqu’un de vraiment très bien. C’est un bonhomme extraordinaire. Il vit ici depuis à peine un mois, et j’ai déjà l’impression qu’il a toujours habité là.

Quel changement depuis ce matin ! En se dirigeant vers l’accueil, Émilie avait noté le « Bonjour, Madame » et la cordialité nouvelle à laquelle elle n’était plus habituée.

Le type, enfin l’homme plutôt, était là.

— Bonjour, Madame Grangier. Si vous voulez bien, on va marcher quelques mètres. Je nous ai réservé un chinois à deux pas d’ici avec un pâté aux sésames de Wuhan dont la seule vue devrait déjà vous titiller les papilles. Un régal ! Quant à le déguster, ma foi, c’est à en perdre la tête. Nous discuterons de vous et de ma proposition.

Le repas se déroula gaiment. Elle découvrit une personnalité séduisante, cultivée et dotée d’un certain sens de l’humour bien qu’il semblât relativement secret. Il parlait peu de lui alors Émilie parla, parla, parla. Qu’il était bon de parler ainsi de soi, de sa vie, de sa remise en question brutale quand le musée avait dû fermer et elle, trop spécialisée, mais aussi trop âgée pour qu’elle retrouve rapidement un emploi. Il y eut le chômage, puis l’allocation de solidarité puis maintenant le RMI. Au crépuscule de ses quarante ans, elle s’imaginait être arrivée, avoir une situation, avoir un logis, avoir des amis. Deux ans de chômage puis l’allocation de solidarité avaient eu raison de ses amitiés. Six mois de RMI l’avaient complètement essorée.

Elle avait perdu progressivement la possibilité d’honorer le loyer, la chaine câblée, les journaux, les magazines, la voiture, les congés (qui n’étaient plus payés) et bien sûr ses visites dans les musées. Un matin de mars, elle fut expulsée. Elle était jetée à la rue, et depuis ce jour elle ne vivait plus que pour survivre.

— Et nos amis à quatre pattes ? Madame Grangier ? Avez-vous eu des animaux de compagnie ?

— (Pourquoi me parle-t-il des animaux ?) C’est Émilie… Oui. Un chat. Il est mort maintenant. Il s’appelait Léonard. Comme le peintre franco-italien de la Renaissance. J’adore sa peinture tourmentée… (Avec un peu de chance, il va peut-être embrayer sur la peinture ?)

— Était-il heureux ?

— (Raté !) Oh oui, alors ! Je n’ai jamais connu un animal plus resplendissant de bonheur. Léonard était un ange. Je l’adorais et il m’aimait. Un véritable amour de chat.

— Moi aussi, je chéris les bêtes. J’ai deux chattes. Elles me manquent tout autant que ma femme et mes filles, même si je peux heureusement les voir le weekend !

— C’est vrai que nos compagnons ont une vie de rêve. Parfois, je souhaiterais bien être à leur place !

Le repas se termina et Émilie, et l’homme (tiens ! Je ne connais toujours pas son nom), revinrent vers l’hôtel, chacun dans leur chambre.

Émilie réalisa alors tout d’un coup que le vin était bon, qu’on avait parlé de tout, mais absolument pas de ce qu’il attendait d’elle. Sans plus réfléchir, elle vint alors frapper à sa porte. Elle espéra même secrètement qu’il fut déjà en pyjama. Lorsqu’elle travaillait, elle aimait bien voir ainsi ses nouvelles conquêtes de la semaine, le lendemain de ses sorties en boite, cinq ans auparavant.

— Bonsoir, Monsieur (non, il était encore habillé). Je réalise à l’instant que vous m’aviez invitée à manger pour que nous parlions d’une proposition, mais nous n’en avons pas discuté.

Mais que je suis maladroite ! Que va-t-il penser de moi ? Oh ! Et puis après tout, on n’a qu’une vie !

— Je recherche une femme de compagnie. Voulez-vous bien tenir ce rôle ?

Émilie faillit s’étrangler. C’était donc ça qu’il attendait d’elle ? Tout arrivait beaucoup trop vite, un peu comme dans un film ou un bon polar où l’on serait immédiatement plongé dans le bain avant même que n’ait coulé l’eau du robinet. Elle ignorait quoi en penser :

— Mais-heu-ça-con-sis-te-en-quoi ? Je ne sais pas faire ça, moi. Je suis conservatrice de musée…

Émilie se rappelait leur conversation sur Léonard, son animal de compagnie… Elle était estomaquée. Non, ce n’était pas ça : elle était inquiète. Qu’entendait-il par femme de compagnie ? Et… Quelle horreur !

— Ce ne serait pas que vous voudriez aussi… me voir nue tout de même ?

(Mais pourquoi lui ai-je dit ça ? Je ne suis pas une…) Elle se surprenait elle-même. Comment avait-elle pu oser proférer de tels propos aussi inconvenants après cette soirée si mémorable, où il n’avait pourtant pas esquissé la moindre arrière-pensée déplacée ?)

— Oui.

Jamais elle ne s’était alors déshabillée aussi vite. Il y avait si longtemps, depuis tant d’années ! Mais que lui arrivait-il ? Qu’allait-il penser d’elle ? Lui, il ne bronchait pas. Il s’assit sur le bord du lit et la regarda tendrement.

Elle ressentait son regard en elle et il s’introduisait jusqu’au plus profond de ses parties secrètes. Que cela était donc excitant ! Il observait son trouble, et cela augmentait encore son emprise sur elle. Elle se dévoilait et lui montrait tout. Il attendait.

Elle, elle sut alors, sans que rien soit dit, ce qu’il voulait d’elle. C’était cela : elle commença à se caresser. Lentement tout d’abord, puis de plus en plus énergiquement. Elle ne lui faisait pas l’amour. Elle lui offrait plus que ça. Elle lui proposait sa véritable intimité, son esprit, son Moi le plus profond. Et lui (je m’appelle Joseph, Émilie)… Et Joseph la regardait tendrement, passionnément. Le désir montait en elle par saccade et se propageait délicieusement dans toutes les fibres de son corps. Son sexe applaudissait. Ses doigts redécouvraient de nouveaux territoires, toujours plus exquis, et ils appréciaient. Ses poumons ? Ils n’étaient plus qu’une mélodie ininterrompue et son cœur se transformait en vibrato surpuissant. Elle ruisselait maintenant agréablement de tous les pores de sa peau. Ses seins s’extasiaient ; ils approuvaient fièrement. Sa main explorait tout cela et cela était bon. La volupté même l’enveloppait et cela aussi était bon. L’onde du plaisir arrivait et décroissait, pour renaitre encore plus forte. Elle irradiait de concupiscence. Elle était devant lui : elle voulait le toucher. Elle voulait le prendre.

Joseph attendait encore et il posa simplement le dos de sa main sur sa joue dans un geste délicat. Il était toujours habillé et ne semblait pas encore avoir l’intention d’aller plus loin. Pas encore. Elle bisa la main et (quel curieux terme ! Pourquoi n’avais-je pas plutôt pensé d’abord à son équivalent moderne « embrasser » ?)… et elle s’assoupit.

Puis elle se réveilla. Elle vit que Joseph dormait entièrement nu dans le lit, et que cela était bon. Elle s’installa à côté de lui, car elle serait bien l’une de ses femmes de compagnie.

Quand enfin il s’éveilla, elle le devint pour toujours.

Plus tard, Joseph s’endormit et il était en elle. Il lui tenait la main et semblait la protéger, même dans son propre sommeil. La vie pouvait recommencer. Elle serait l’une de ses plus belles compagnes.

Elle le rejoignit peu après dans les songes.

L’aube arriva et, comme tous les matins depuis qu’elle était en galère, Émilie ouvrit les yeux dès l’aurore, à l’heure de la plus grande froidure. Il faisait bon et d’ailleurs, pour la première fois depuis des mois, elle ne toussait plus. Joseph dormait puis le temps passa. Il commença à s’agiter. Il s’éveilla et lui fit la bise. Qu’il était beau !

— Bonjour, Émilie.

— Bonjour, Joseph.

Émilie le regarda amoureusement, considéra son sexe, l’embrassa et répéta :

— Bonjour, Joseph. Pourquoi m’as-tu choisie ? Pourquoi veux-tu que je devienne l’une de tes femmes ? Combien en as-tu ?

— Tu es l’une de celles que j’attendais, Émilie chérie. Tu constitues la troisième pierre de mon édifice, la clé de voute qui dirigera et organisera mon aréopage. Tu répondras ainsi de tout, aussi bien à la mère de mes enfants qu’à moi-même et aux autres membres de l’équipe, tout comme nous te devrons réciproquement obéissance. Il faudra cependant tout d’abord t’initier, et ensuite que tu veuilles intégrer notre grand projet. Cela commence bien sûr dès maintenant. Quant à moi, je devrais être tout à l’heure au travail à huit heures trente et… Ha ! Tu souhaites savoir ce qui va se passer dans l’immédiat ? ajouta Joseph.

Son air espiègle démentait furieusement le ton faussement sérieux avec lequel il avait posé cette question qu’elle n’avait pas osé lui demander.

— Moi, je… Hein ! … Heu ! non… Rien, mais…

Si elle s’était attendue à ça ! Émilie était abasourdie. Hier clocharde et, aujourd’hui, à la fois chef de tribu et amante en chef de l’homme de sa vie.

— Réfléchis : c’est facile à déduire, ma chérie ! Il faut déjà nous doucher… et nous préparer pour aller déjeuner — s’esclaffa Joseph. Pour le reste, si tu le veux bien, je te ferais mettre au courant dans la matinée. Tu verras, c’est enthousiasmant.

Quel travail ? Quel projet ? Pourquoi était-elle la personne la plus apte ? Arriverait-elle à mener à bien sa tâche et quelle tâche ? Émilie se sentait écrasée par l’ampleur de ce qui l’attendait. Elle songeait qu’hier sa vie avait brutalement bifurqué alors qu’elle s’imaginait non plus sous les ponts, mais pire encore. Elle avait déjà vécu ça les ponts, les jours où sa mendicité ne suffisait pas à payer l’hôtel, et ces jours-là avaient été terribles ; elle n’avait pas pu dormir, toujours dans la crainte de se faire détrousser ou de devoir subir les plus grands outrages. Elle s’en était chaque fois sortie, mais c’était parfois vraiment de justesse.

En descendant les escaliers avec Joseph, elle rencontra Sara.

— Bonjour Émilie. (Tiens ! elle connait mon prénom ! pensa Émilie… Mais oui ! Je l’ai prononcé hier quand Joseph nous a proposé ses services. Houla ! Comment peut-il estimer que je serais capable s’il me faut tant de temps pour calculer deux plus deux ?). Ne vous avais-je pas dit que cet homme est extraordinaire ? continuait Sara. Je suis aussi l’une de ses femmes de compagnie. Il y a longtemps qu’il vous recherchait.

Émilie regarda alors Sara, ouvrit les bras et l’étreignit.

Que tout était bizarre depuis sa rencontre miraculeuse de la veille ! Hier, elle aurait presque ressenti de la haine pour cette grande fille arabe qui l’humiliait si ouvertement derrière son comptoir, et ce matin leur amour commun les unissait dans un coup de foudre visiblement réciproque.

— Oh oui ! Qu’il est formidable ! Merci Sara.

Sara rougit de plaisir. Puis Émilie s’empourpra. Elle avait complètement oublié la présence de Joseph qui descendait déjeuner avec elle. Ça commence fort ma belle ! Il est là et tu agis comme s’il n’existait pas. Oh lala lala !

Joseph ne disait rien. Il regardait, un peu amusé et légèrement moqueur, l’embarras d’Émilie, puis il reprit sa descente d’escalier et laissa les femmes tout à leur discussion. Tiens, finalement il avait l’assurance d’un gourou…

Non, ça ne cadre pas. La veille, Sara avait bien obéi sur ordre, mais à elle il ne lui avait jamais rien demandé : il y avait autre chose… Oui, mais quoi ?

Sara continuait :

— Je vous dois une explication, Émilie. Hier, j’étais un peu furieuse, non seulement à cause de votre mitraille, car cela allait m’obliger à tout un travail de comptage supplémentaire en plein coup de feu du petit déjeuner, mais aussi parce que je vous avais donné ma chambre de service, et j’y avais oublié mon livre et mon marque-page.

— La feuille de papier, c’était donc vous ! Mais, Sara ! Sara est un prénom juif ou arabe, et vous avez d’ailleurs plutôt le type méditerranéen ! Comment se fait-il alors que vous consultiez la Bible ? C’est un ouvrage chrétien !

— Oui, je la lis et je suis bien musulmane. Joseph dit que les religions doivent être transcendées. Mais vous, comment avez-vous pu la déchiffrer cette bible ? Vous n’avez donc pas besoin de lunettes à votre âge, mamie ?

— Non ! Je ne l’ai même pas ouverte, sinon avec ma presbytie il m’aurait fallu des bras de trois kilomètres, et il y a longtemps que j’ai perdu mes lorgnons. Mais vous, avez-vous vraiment bouquiné, ma petite ? Les images ne se bousculent pourtant pas vraiment dans cette BD !

Les deux femmes éclatèrent de rire de leur fausse dispute.

— J’avais trouvé cette bible méthodiste « oubliée » en rangeant une piaule, alors je l’ai étudiée en profondeur pour essayer de comprendre. Je vous avais en fait donné, Émilie, ma chambre de fonction un peu rapidement ; j’avais oublié de l’enlever. J’arrivais à la conception du petit Jésus.

— Si en plus c’est sexuel, je comprends bien l’intérêt de la chose ! déclara Émilie amusée.

Sara la regarda apparemment de travers tout en réprimant difficilement son fou rire. Émilie poursuivit :

— Mais que relatait donc cette feuille ? Enfin ! Il y avait écrit « Cela vous changera des 12345abc(de) et autres peintures, mais vous n’y trouverez pas ce que vous cherchez. »

— Ça ne veut rien dire cette phrase ! Et ça ne me dit rien…

— Hé ! Mais… et les divines proportions, alors ?

— Des proportions divines ?

Émilie était perdue. Sara venait de démontrer par ses quelques mots que ces deux jours n’avaient finalement reposé que sur une chimère.

— Ha si ! éclata alors de rire Sara en mimant la mine interloquée d’Émilie. J’avais trouvé et imprimé cette réponse depuis un site boursier de vulgarisation. Elle répondait à ma question de savoir où je pourrais m’initier aux différents mécanismes de la Bourse.

— Avec tout le fric que tu gagnes comme réceptionniste, je comprends bien que tu disposes de liquidités à ne plus savoir qu’en faire ! Il fallait donc bien que tu t’intéresses à la Bourse, ma chérie ! ironisa gentiment Émilie.

Sara redevint sérieuse :

— Cela fait partie du grand projet de Joseph, Émilie, alors je cherche à m’instruire.

Émilie tomba des nues. Sara ne se moquait plus. En somme, aucun double sens n’avait existé, excepté dans son esprit. Aucune dilogie de cette phrase biscornue n’interférait donc ni avec la Bible, la peinture ésotérique ou encore la nomenclature des musées ! Si l’on devait lui en trouver un sens, son seul mérite consista à lui occuper bien inutilement l’esprit. Il est vrai qu’hier encore, il ne lui restait plus que ça : pouvoir penser. Cela dit, que n’aurait-elle pas fait sinon ? Cette énigme avait au moins rempli cette vertu.

Était-ce alors si inutile que ça ?

Cette phrase oubliée autoriserait pourtant des massacres en nombre, des ruines et des fortunes, mais ça, ni Sara ni Émilie ne l’envisageait encore.

— D’accord. Et toi, comment l’as-tu connu, Joseph ?

— Tout à l’heure, si vous le voulez bien, Émilie. Après le petit déjeuner.

— On ne pourrait pas se tutoyer, Sara ?

— C’est toi la chef, mais tu as raison ! Ce vouvoiement est ridicule. À tout à l’heure, Émilie.

Mon Dieu que tout cela avait été rapide. Clic, clac, et l’affaire était déjà emballée.

Émilie pressentait maintenant que ce n’était pourtant que le début d’une grande histoire. Elle se retourna vers Sara.

Sara riait. Elle était de bonne humeur.

Clermont-Ferrand, le 15 octobre 2007.

Cette nouvelle Émilie Grangier s’intègre dans le cadre des 5 exemples d’histoire publiés par Le Corrigeur à titre de démonstration d’écriture.

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