Écriture et origine étymologique de l’expression Sans dessus dessous
Demander un devis
Certains croient retrouver la préposition « sans » dans cette expression, et ils écrivent « sans dessus dessous ». D’autres croient qu’il s’agit du substantif « sens », et ils écrivent « sens dessus dessous ». Voici le point de vue de l’expertise littéraire et ses conséquences sur la correction-relecture.
Généralité
Faut-il écrire un e à sans dessus dessous ?
Autrement dit, doit-on écrire sens dessus dessous ou sans dessus dessous ?
Dans le cadre de mon métier de correcteur professionnel, il m’arrive souvent de corriger un manuscrit où le thésard comme le romancier se voit proposer plusieurs orthographes avec chacune sa logique littéraire. La réponse du professionnel de l’écriture sera nécessairement exhaustive.
Sens dessus dessous
Les partisans du e vont écrire sens dessus dessous et expliquent que dessus et dessous désignent une position spatiale, et que ce qui était dessus est maintenant dessous.
Sans dessus dessous
Les partisans du a vont écrire sans dessus dessous et le justifieront en disant que sans indique un ordre qui n’existe plus, ou que l’on veut signifier qu’il n’y a rien sur les dessous.
Écrit-on sens ou sans dessus dessous ?
En se limitant aux sept principaux pays francophones, voici ce que donne le nombre de fois où ont été tapées l’une et l’autre graphie au cours des 12 derniers mois sur le moteur de recherche Google d’Alphabet.
Expression | Nombre de recherches | % |
---|---|---|
Sans dessus dessous | 5400 | 53 % |
Sens dessus dessous | 4400 | 43 % |
Sans dessous dessus | 260 | 3 % |
Sens dessous dessus | 110 | 1 % |
Cumul | 10170 | 100 % |
Sur Internet, l’expression « sans dessus dessous » avec un a est donc recherchée bien plus souvent que son homologue « sens dessus dessous » avec un e.
Érudit
Définition du substantif sens, et des adverbes dessus et dessous
Dans l’expression « sens dessus dessous », sens est un substantif masculin, ce qui induit que dessus et dessous sont alors des adverbes.
- Expression
- Définition
- Sens
-
Généralité : Orientation, direction.
Le sens d’un vecteur, le sens de rotation. -
Logique : ordre [irréversible] dans lequel se succèdent les éléments d’un processus, d’un raisonnement.
Le sens du progrès. -
Enseignement : direction, orientation privilégiée d’une matière.
Le sens du poil. -
Position : côté d’un objet considéré en fonction de son orientation, de sa position dans l’espace.
Le bon ou le mauvais sens
-
Dessus
-
Adverbe : situé sur la face supérieure ou extérieure.
-
Dessous
-
Adverbe : situé plus bas, à un niveau inférieur.
Définition de la préposition sans, et des substantifs dessus, et dessous
Dans l’expression « sans dessus dessous », sans est une préposition, ce qui induit que dessus et dessous sont alors des substantifs.
- Expression
- Définition
- Sans
-
Suivi d’un substantif : sans marque l’absence, le manque, l’exclusion d’un être ou d’une chose.
Sans peur et sans reproche.
- Dessus
-
Substantif : partie, ou face supérieure de quelque chose, ou ce qui est visible.
Le dessus du panier correspond aux meilleurs fruits que montre le marchand pour vendre sa marchandise.
- Dessous
-
Substantif au singulier : partie inférieure de quelque chose, ou ce qui est dissimulé.
Le dessous des cartes. -
Substantif au pluriel : sous-vêtements féminins [il n’y a pas d’équivalents pour les sous-vêtements masculins].
Ils sont habillés de la même façon, mais si Superwoman porte ses dessous par desssus, on ne peut donc pas en dire autant de Superman… Et pourtant !
Expert
Étymologie de sens dessus dessous et de sans dessus dessous
Voici l’une des plus anciennes citations relevées par l’Académie française à propos de sens dessus dessous. Elle se réfère à un passage que l’on ne trouve généralement pas dans les livres de classe. Tastoner signifie caresser et tâter, c’est-à-dire peloter.
La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel, jadis composée par M. Alcofribas abstracteur de quintessence. Livre plein de Pantagruélisme, p. 348, par François Rabelais, 1534.
Texte original de François Rabelais
Et sabez quey hillotz, que mau de pipe vous byre, ce petit paillard tousjours tastonoit ses gouvernantes cen dessus dessoubz, cen devant derriere, harry bourriquet: et desja commencoyt exercer sa braguette. Laquelle un chascun jour ses gouvernantes ornoyent de beaulx boucquets, de beaulx rubans, de belles fleurs, de beaulx flocquars: et passoient leur temps a la faire revenir entre leurs mains, comme un magdaleon d’entraict. Puis s’esclaffoient de rire quand elle levoit les aureilles, comme si le jeu leurs eust pleu.
L’une la nommoit « ma petite dille », l’autre « ma pine », l’autre « ma branche de coural », l’aultre « mon bondon, mon bouchon, mon vibrequin, mon possouer, ma teriere, ma pendilloche, mon rude esbat roidde et bas, mon dressouoir, ma petite andoille vermeille, ma petite couille bredouille. »
Traduction de Marie-Madeleine Fragonard
Et vous savez quoi, mes gars ? Que la saoulerie vous chamboule ! Ce petit paillard n’arrêtait pas de peloter ses gouvernantes, sens dessus dessous, sens devant derrière, — hue, cocotte ! — et il commençait déjà d’exercer sa braguette, que chaque jour elles ornaient de beaux bouquets, de beaux rubans, de belles fleurs, de belles guirlandes ; et elles passaient leur temps à la faire monter entre leurs mains comme la pâte dans le pétrin. Et elle s’esclaffait quand elle levait les oreilles, comme si le jeu leur eût plu.
L’une la nommait mon petit fausset, une autre ma pine, une autre ma branche de corail, une autre ma bonde, l’autre mon bouchon, mon vilebrequin, ma tringle, ma tarière, [mots manquants : mon rude ébat raide et bas, mon dressoir,] ma petite andouille vermeille, ma petite couille bredouille.
La forme originelle de la locution était ce en dessus dessous devenue cen dessus dessous ; ce qui est dessus est en dessous. Le mot cen était alors une variante ancienne du pronom démonstratif ce.
Lorsque cette forme cen a disparu de la langue, la locution a été réinterprétée, et a été confondu avec le mot sen, chemin, sentier. Lorsque le mot sen a lui-même disparu, il a été réinterprété à son tour et a été confondu avec le mot sens, direction, côté, mais en en conservant la prononciation. On a alors vu apparaitre de façon concurrente sans dessus dessous et sens dessus dessous. C’est cette prononciation qui explique que cette forme a été parfois incorrectement orthographiée et que l’on peut lire Sans dessus dessous.
Les Océanides de Gustave Doré sont sans dessus dessous. Ce même illustrateur qui a illustré Gargantua sens dessus dessous aimait comme Jules Verne s’opposer au bon sens établi. Il a ainsi dessiné des Océanides sans leurs dessous dessus leur nudité.
Parmi les grands noms du sans dessus dessous, on trouve ainsi :
- Claude Favre, grammairien, baron de Pérouges, seigneur de Vaugelas (6 janvier 1585 – 26 février 1650) ;
- Marie de Rabutin-Chantal, épistolière, marquise de Sévigné, plus connue sous le nom de Madame de Sévigné (5 février 1626 – 17 avril 1696) ;
- Jules-Gabriel Verne, romancier, plus connu sous le nom de Jules Verne (8 février 1828 – 24 mars 1905).
Le point de vue de l’Académie
Émile Maximilien Paul Littré, lexicographe (1er février 1801 – 2 juin 1881), plus connu sous le nom d’Émile Littré, s’était ému lors de la quatrième version du dictionnaire de l’Académie de ce qu’il considérait comme une aberration.
Vaugelas écrivait sans dessus dessous, sans devant derrière, comme qui dirait sans dessus ni dessous ; Mme de Sévigné suivait cette orthographe, qui avait des précédents dans le xvie siècle.
Chapelain et Ménage écrivaient sens dessus dessous, conformément à l’avis de Pasquier, et cette orthographe a prévalu ; sens est supposé avoir ici la signification de direction, de côté, comme qui dirait : le sens qui devait être dessus est dessous. Mais on comprend tout d’abord combien une pareille locution serait forcée ; au reste, toutes ces hypothèses tombent devant l’historique ; la locution est simple et correcte : c’est ce dessus dessous c’est-à-dire ce qui est dessus mis dessous.
Au xve siècle, on a dit c’en dessus dessous : ce qui est en dessus mis en dessous.
Enfin, au xvie siècle, l’intelligence de la locution se perdant, on ne sait plus l’écrire ; la prononciation se conserve par la tradition et reste la même ; mais l’orthographe se corrompt. La vraie locution est donc c’en devant derrière, c’en dessus dessous ; ce qui a exactement le même son que sens dessus dessous. H. Estienne avait bien vu ce que c’était que cette locution.
Il appartiendrait à l’Académie, que les imprimeries suivent, de rectifier une aussi vicieuse orthographe, d’autant plus qu’il n’y a rien à changer à la prononciation.
J’ai contacté l’Académie française. Voici la réponse qu’elle m’a envoyée sous la plume de Madame Marie Pérouse-Battello.
Aucune des deux graphies n’est absurde. Gardien de la tradition, l’Académie française recommande cependant de se conformer à l’ancien usage, et de préférer la forme : sens dessus dessous.
Nous nous retrouvons donc sans sens interdit. Nous pouvons laisser libre cours à notre imagination et à notre bon sens…